La foule assiégeait les baraques
À la foire du Trône, place de la Nation
C'était un dimanche de Pâques
Il m'avait offert un beau p'tit cochon
En l'accrochant à mon corsage
Il me dit d'une voix, pleine de douceur
" Ce p'tit cochon j'vous l'offre en gage
Du profond amour que j'ai dans le cœur "
Pour un cochon en pain d'épices
À mon corsage suspendu
J'ai fait un jour, le sacrifice
De mon bonheur et d'ma vertu
Y a des femmes qui sont difficiles
Et qui exigent de leurs amants
Des fourrures, des automobiles
Des colliers d'perles et des diamants
Mais moi je suis franche en amour
Et je n'y mets pas tant d'malice
J'ai tout donné en seul jour
Pour un cochon en pain d'épices
Je l'avais mis dans ma chambrette
Sous le grand portrait du cousin André
En r'gardant sa queue en trompette
Je me suis souvent surprise à pleurer
Couvert de sucre et de poussière
De mon grand bonheur, il fut le témoin
D'un bonheur extraordinaire
Qui dura six s'maines, peut-être un peu moins
Mon p'tit cochon en pain d'épices
Je l'aimerai toujours, toujours
Car sans l'savoir, il fut complice
De mon premier frisson d'amour
Il avait des yeux en amandes
Et quand il voyait mon amant
Débordé d'une ardeur trop grande
Il les fermait pudiquement
Ça n'était pas de ces cochons
Qui symbolisent tous les vices
Il était plein de discrétion
Mon p'tit cochon en pain d'épices
Hélas mon bel amant volage
Un jour me quitta comme ça tout à coup
En me laissant pour seul message
Une paire de chaussettes qu'était pleine de trous
Je connus alors la misère
Le régime jockey et les privations
La faim est mauvaise conseillère
Un jour de fringale
J'ai bouffé l'cochon
Mon p'tit cochon en pain d'épices
Témoin discret de ma passion
J'l'ai boulotté avec délices
Tout en lui demandant pardon
Mais sa chair autrefois si fine
Avait durci avec le temps
Et j'me suis cassée deux canines
Et trois molaires en y mordant
Ça n'est qu'à force de pleurer
Ne fusse pour qu'il se ramollisse
Qu'j'ai enfin pû le dévorer
Mon p'tit cochon en pain d'épices